Appel à communication
Appel à communication de l’Association française des jeunes
historiens du droit
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La normativité au féminin : entre rigueur et latitude du droit
Depuis quelques années, la question des rapports entre les femmes et le droit est au cœur d’une riche activité scientifique. Certains travaux s’emploient à mettre en lumière le rôle des femmes qui ont longtemps été invisibilisées dans les sources, dans la construction du droit et dans l’administration de la justice. D’autres s’intéressent aux représentations idéologiques et aux fonctions symboliques engendrées par un traitement juridique différencié entre les femmes et les hommes. Ces études soulignent spécialement que le droit s’affirme autant comme un outil d’oppression qu’un moyen d’émancipation, mais le plus souvent avec la même ambition revendiquée de protéger le sexe féminin.
Ce phénomène se manifeste par exemple en droit romain avec
l’interdiction aux femmes de la stipulation pour autrui dans le
sénatus-consulte Velléien (ier siècle).
Il s’impose aussi avec la figure antique de l’imbecillitas sexus qui s’impose
dans diverses branches du droit à partir du xvie
siècle pour isoler la femme dans la cellule domestique. Il se trouve également au
xviiie siècle dans
certaines décisions de justice, lorsque le critère des humeurs joue pour
apprécier la faute et le dommage, mais aussi dans la question de l’abolition de
l’esclavage et de l’émancipation des femmes noires aux xixe et xxe
siècles. Plus largement, ce sont des systèmes entiers qui s’inscrivent dans ce
rapport complexe entre les femmes et le droit à une échelle européenne :
la dot, le statut de marchande publique, le douaire, le veuvage, le modèle du pater
familias, l’exclusion des femmes à certaines fonctions publiques sans oublier
l’accès direct ou indirect à des positions politiques ou religieuses
importantes.
Ces enseignements sont précieux et montrent la nécessité de
connecter la norme, son sujet et son environnement. En effet, la femme est
avant tout un sujet de droit. Elle ne fait pas que recevoir ou subir, mais elle
agit et réagit. Le renouvellement de la recherche sur le genre apporte sur ce
point des éclairages particulièrement importants. Par exemple, les projets ANR Régine
et HLJPGenre ouvrent la voie à de nouveaux champs d’enquête pour comprendre les
rapports entre le droit et les femmes à travers le processus de création,
d’application et de réception des normes. Ils confèrent également une
visibilité nouvelle sur le rôle de l’iconographie, des symboles et des
mentalités, dans la création d’un discours de domination masculine, pour mieux
comprendre les facteurs endogènes et exogènes gouvernant les rapports entre le
droit et les femmes.
Le présent appel à contribution souhaite poursuivre cette
dynamique scientifique pour proposer une relecture du mouvement ambivalent
de restriction et de libération des femmes par le droit. Cette démarche
s’inscrit au-delà de la description de la norme, de la règle de droit, pour plus
spécialement rechercher les dynamiques normatives dans les interactions
entre les actes, les acteurs et leurs contextes. Deux thématiques
principales et fortement poreuses constituent le cœur de cette initiative.
Axe 1. La ou les fonction(s) et
langage(s) du droit
Cet axe s’intéresse à la place du droit, entre neutralité et
différenciation selon le sexe ou le genre, au regard de l’influence d’environnements
professionnels, sociaux, religieux, économiques ou encore politiques. Il interroge
plus précisément la capacité du droit, par ses fonctions et ses langages, à prendre
en compte une réalité préexistante ou à façonner lui-même une position de
sujétion ou de liberté pour les femmes ou seulement pour certaines femmes. Dans
ce cadre, quand le droit prend en compte la différence entre le sexe ou le
genre, ne fait-il qu’entériner une différence biologique ou sociale en la traduisant
dans le langage juridique ou ne devient-il pas l’instrument principal de
l’organisation de ce que Bourdieu qualifie de « rapport social de
domination » ? Cette perspective se concentre ainsi sur la performativité des
discours du droit, en insistant sur la manière par laquelle le droit est conçu,
perçu et exprimé, pour compléter une approche sur la production et la réception
de la norme juridique.
Axe 2. La production et la réception
de la norme juridique
Cet axe se concentre sur la participation des femmes à la
production du droit au sens large. Une telle situation est à la fois rare et
récente. Les femmes ne sont pas toujours invitées dans l’espace public et dans
le débat politique alors qu’elles ont longtemps été tenues à l’écart des
professions juridiques. La production du droit est ainsi généralement une
prérogative masculine, ce qui soulève spécialement la question des conséquences
juridiques de ce déficit de participation féminine. Une telle ligne directrice
se veut particulièrement large pour envisager de manière originale le caractère
composite du processus normatif. Le droit produit uniquement par des hommes peut
être ou non destiné à conserver la femme en situation d’infériorité. Les normes qui ne différencient pas selon le
sexe ou le genre peuvent ou non produire une telle différenciation en fonction
de celui qui applique le droit ou de l’environnement de réception du droit. Ces
considérations non exhaustives se transposent avec force dans divers professions
juridiques et para juridiques comme la justice (avec la nécessité d’envisager
l’entièreté du processus judiciaire et de son personnel), le notariat,
l’avocature ou les milieux académiques. Ce second axe aborde ainsi ces thématiques
qui, malgré les récents progrès historiographiques, restent largement à éclaircir.
Il doit permettre de déterminer les conséquences multiples de la participation
ou de l’absence de participation des femmes sur la production, l’application et
la réception du droit. Il s’agit plus largement de mesurer la transformation
des règles de droit, mais aussi des institutions, sous des degrés et des
échelles variables sur le plan davantage substantiel et processuel sans oublier
l’importance de la contextualisation de l’environnement normatif.
Ces deux lignes directrices peuvent être envisagées
séparément ou de manière transversale sans exclure d’autres pistes de réflexion.
Elles embrassent tant le domaine du droit public que celui du droit privé dans
une perspective historique ou contemporaine. Les travaux doivent privilégier,
autant que possible, une approche sur les actes, les acteurs et leurs contextes,
avec une attention spécifique au traitement des sources (lexicographie,
économétrie, matérialité, textualité, etc.). Ils peuvent concerner les
territoires français comme étrangers pour apporter une dimension comparatiste.
Les contributions peuvent également relever de la sociologie, de la littérature,
de l’histoire en général, de l’économie ou de la science politique tant que l’objet
d’étude reste le droit.
La date limite pour la soumission
des contributions est fixée au 30/11/2025. Les propositions ne devront pas
dépasser 4 000 caractères (espaces comprises, bibliographie non comprise) et
peuvent s’accompagner d’une brève présentation de l’auteur. Les détails pratiques,
relatifs à l’organisation de l’évènement au mois de mars 2026 à Paris, seront
communiqués après la sélection des contributeurs. Les actes du colloque ont
vocation à être publiés sous la direction d’un comité de lecture.
Contact : assofjhd@gmail.com
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